Le transfert

Le transfert fait partie des éléments constitutifs de la cure analytique. Positif, il est un élément moteur, négatif, il entraine les résistances.  Il est une énigme, aussi, surgissant de manière inattendue parfois, excessif et d’une grande puissance, à la fois conscient et conservant une part inconsciente.

« Du côté du patient, certains facteurs rationnels jouent en notre faveur : le besoin de guérir issu de ses souffrances, l’intérêt intellectuel que nous parvenons à susciter chez lui pour les théories et les découvertes de la psychanalyse, mais, par-dessus tout cependant, le transfert positif à notre égard. D’autres facteurs toutefois agissent contre nous : le transfert négatif, la résistance qu’oppose le moi au défoulement, c’est-à-dire le déplaisir provoqué par le dur travail imposé, le sentiment de culpabilité issu des relations du moi avec le surmoi, enfin le besoin d’être malade causé par de profondes modifications de l’économie instinctuelle. » 

S.Freud, Abrégé de psychanalyse, chapitre VI de la technique psychanalytique.

Le transfert est une force de réincarnation,  qui amène au présent les éléments passés, qui réactive les passions inconscientes, qui permet de répéter, y compris ce qui n’a pas eu lieu.

Le psychanalyste, dans sa neutralité, son retrait, son attention, offre cet aspect lisse du miroir où vont percuter les projections, où va se mettre en place le transfert. C’est de cette répétition que jaillira la lumière de la compréhension de soi-même, ce qui va permettre au moi de l’analysant de se renforcer.

Le transfert a pour objectif : la levée du refoulement, le renforcement du moi, l’alliance analysant-psychanalyste.

Le transfert contient une double polarité : positive et négative.

Positive : l’analysant est d’accord pour une coopération, pour la méthode, il accepte l’alliance avec l’analyste. Tout est favorable.

Négative : c’est la dimension refoulée qui, menacée,  revient avec force et s’oppose.  C’est la forme que prend la résistance. Cette polarité négative alimente la résistance à l’analyse.

Les deux se manifestent en même temps. L’un est refoulé dans un premier temps. Ce qui permet l’installation du transfert positif, au démarrage.

Le transfert négatif, contenu dans le positif, se manifeste plus tard : stagnation du travail, reprise des symptômes, oubli des séances, sentiments négatifs vis-à-vis de l’analyste et de sa posture tranquille, neutre…L’importance de repérer ce qui se passe…de repérer qu’il se passe quelque chose…

Selon la Psychanalyse Active, l’évolution du transfert se définit selon deux doubles séquences :

  • Un premier temps d’assimilation/reproduction, avec la projection du désir de protection et du désir de reproduire ce qui est proposé par l’analyste.
  • Un deuxième temps d’ adaptation/sélection, quand l’analysant commence à se détacher, à faire ses choix, en phase d’autonomie.

Sans  transfert négatif, le travail ne peut être complet. Car le transfert négatif amène à faire l’expérience de la résistance. A partir de cette expérience, il est possible d’avancer, de trier, de s’alléger, de dénouer.

Le double transfert indique aussi l’ambivalence face au travail analytique : l’analysant a envie et peur de « guérir » c’est-à-dire de transformer l’économie pulsionnelle, même si celle-ci a engendré la souffrance.

Le transfert est la voie d’accès au refoulé. L’analysant, aux prises avec ses pulsions, se sert de la figure de l’analyste pour expurger, pour assainir, pour rendre conscient et poser ce matériel jusque là refoulé.

Le refus de l’interprétation rappelle que le traumatisme fait obstacle au retour du refoulé. Toute répétition est en effet répétition  de la relation aux autres, traumatisante.

Cette fois, cette répétition du trauma se fait dans le cabinet de l’analyste, dans le cadre rassurant de l’écoute analytique. L’analyste n’est pas dupe, et n’entre pas dans le mécanisme en œuvre, qui consisterait à nier, ou à plaindre, ou à passer outre. L’analyste repère le mécanisme et y fait face, le contient, reste en dehors.

Les situations évoquées dans le cabinet de l’analyste sollicitent celui-ci dans ses propres affects. Citons l’exemple de l’évocation en séance d’une mère « mauvaise », défaillante : dans sa négligence, ou sa brutalité … L’analyste chemine auprès de l’analysant, avec la mère mauvaise. Il ne l’élimine pas. Il ne la rejette pas. Il ne prend pas l’analysant sous son aile. Il ne « sauve » pas l’analysant de sa mauvaise mère. Il ne plaque pas des schémas extérieurs sur l’analysant. Il l’aide à vivre, à poursuivre, avec l’intériorisation de cette mère qu’il a eue, avec ce qu’il en a fait à l’intérieur de lui.

Le propre de l’analyste consiste à préparer l’interprétation, de façon à ce que celle-ci n’arrive ni trop tôt, ni trop tard.  Pour qu’elle arrive, quand elle est proche du conscient, afin d’en éviter le rejet

L’analysant peut être encouragé afin de se préparer à l’interprétation, qu’il faut mener à bien, en son temps, sans non plus la laisser trop se défaire, se diluer…

Le nombre de possibilités dans le paysage actuel de l’offre thérapeutique montre la grande diversité des besoins en développement personnel, et en travail psychique ou psycho-corporel.

La place de la psychanalyse reste particulière, dans ce cadre qui a beaucoup évolué depuis les fondateurs. Une de ses particularités est justement la prise en compte du transfert.

La relation analysant-analyste a elle aussi changé, s’est enrichie, assouplie, amendée par les quantités d’autres transferts qui ont lieu à l’égard d’autres thérapeutes. Le transfert se démultiplie.

La figure du psychanalyste reste une et particulière, mais est cependant moins investie, est un peu plus banalisée, diluée dans la somme des psychothérapeutes de toutes obédiences. Une sorte de consommation psy, en ouvrages, en revues, en thérapeutes, en techniques, remplace pour certains un vrai travail analytique, voire durcit, parfois, certains fonctionnements, dont on trouve tellement d’échos à l’extérieur.

La psychanalyse, en maintenant sa spécificité, permet à l’analysant d’étudier, en lui, ce qui le pousse à cette consommation, cette répétition de demande d’aide… La psychanalyse va aussi pouvoir aider un analysant à trouver la bonne technique, complémentaire, d’un travail analytique.

L’analyste garde un rôle particulier, où ce qui se joue et se répète, se révèlera.

L’analyste représente pour l’analysant un nouveau Surmoi, plus équilibré, plus ouvert que celui issus de l’éducation, lui permettant des comportements plus libres, plus en adéquation avec son être.

L’analyste sait ne pas se laisser emporter dans l’histoire de l’analysant, ou par les résonances avec son histoire à lui.

L’analysant entre en analyse parce que traumatisé par son relationnel, où président les mauvais choix d’objet, ceux qui sont sources de frustration, de peine, de culpabilité. Dans le transfert, en tant que processus de répétition, l’analysant tente de faire entrer aussi l’analyste dans le mauvais choix d’objet.

L’attitude bienveillante fait que l’analyste ne reproduit pas le mauvais objet, ce qui permet à l’analysant de se reconstituer avec un bon objet.

La bienveillance peut être marquée de plus ou moins de chaleur, ou d’une certaine froideur : selon les cas, et si l’analysant a été fortement malmené dans son histoire, l’analyste bon, avec une bienveillance trop marquée, peut être mal vécu.

Le transfert est à la croisée de la prise de conscience des répétitions et du caractère contraignant de la compulsion.

Geneviève Abrial