Thalassa – Psychanalyse des origines de la vie sexuelle

Sandor Férenczi

Cet ouvrage démontre l’existence de liens entre la biologie, l’embryologie, la physiologie, et la psychanalyse et relate l’évolution de la génitalité au travers de la théorie psychanalytique.

La première édition date de 1924.
Des découvertes, des changements importants ont eu lieu, depuis, dans ces disciplines, Cependant la pensée de Ferenczi très novatrice à son époque, l’est tout autant aujourd’hui. Les interrogations sur notre place dans l’universel, et sur les rapports entre notre psychisme et notre entité biologique, sont toujours aussi vivaces.

L’ouvrage nous fait plonger dans les traces les plus archaïques présentes dans notre fonctionnement biologique, significatives de l’évolution de notre espèce. Chacune de nos cellules véhicule cette mémoire de l’évolution de l’espèce.
Notre corps est le langage vivant de notre développement depuis l’origine. Il est symboliquement marqué par l’évolution de la vie sur terre. Il est comme un texte, que l’on peut déchiffrer, représentant les adaptations, souffrances, étapes vécues aux temps les plus reculés.
Notre mémoire contient les traces psychiques de tous nos vécus d’enfant, conscientes ou inconscientes. Nous avons en mémoire, de la même façon, les vécus de l’enfance phylogénétique ainsi que le confirment les scientifiques aujourd’hui.

« Nos cellules contiennent un potentiel génétique propre à chaque individu, et en même temps, propre à notre espèce, avec nombre de vestiges de l’histoire ancienne. »

Langaney, Clottes, Guilaine, Simonnet : la plus belle histoire de l’homme Seuil 1998

Notre histoire individuelle nous fait passer par les mêmes étapes que l’histoire phylogénétique.
L’ontogenèse récapitule la phylogenèse.
Ferenczi nous fait comprendre que nous ne sommes pas uniquement une suite d’atomes inter réagissant de façon plus ou moins déterminés.
Il nous montre que nous sommes tissés de symboles, que nos cellules ont une réalité symbolique, comme tous nos actes, toutes nos productions, et que cette réalité là, face secrète de notre vie biologique, agit et nous amène à nous accomplir aussi sur ce plan là.

Thalassa est un essai sur une théorie de la génitalité.

I. D’un point de vue ontogénétique

Le premier postulat de base énoncé est que la génitalité est une concentration, une fusion et un déplacement de plusieurs érotismes en un seul, aboutissant à une unité. La génitalité dans le développement sexuel de l’individu vient remplacer les auto-érotismes précédents.

Dans l’érotisme génital, le plaisir est une lutte entre le but d’évacuation, de relâchement (urétral) et la tendance à la rétention (anal), en un subtil mélange des deux tendances. La domination de l’un ou l’autre crée des anomalies de fonctionnement. Ceci n’est possible que si l’on considère qu’il existe une amphimixie prégénitale, déjà en place. Dès le démarrage, l’individu est prêt à renoncer à un plaisir à condition que dans ce renoncement il puise un plaisir. Aucun renoncement ne serait envisageable sans cela. Ainsi, il mêle de la rétention, (le renoncement) au plaisir ressenti (de l’ordre du relâchement). Et il mêle du relâchement (plaisir urétral) au renoncement anal.
Il peut y avoir plaisir au renoncement. Et même au renoncement total !

Ferenczi fait une analogie entre l’acte sexuel et le sommeil. Les deux sont une tentative de régression à l’état intra utérin.
Dans le sommeil, cette régression s’effectue uniquement sur le mode fantasmatique et irréel.
Dans l’acte sexuel: sur le mode hallucinatoire, fantasmatique et en partie réel.

Selon Ferenczi, l’évolution de la sexualité tend vers un but : retourner à l’état intra utérin, état primordial de repos absolu, où les confrontations avec l’extérieur n’existaient pas, où seul le principe de plaisir avait cours.

L’angoisse se mêle au plaisir dans la sexualité, en une série de séquences qui ont pour objectif, semble-t-il de nous faire revivre, tout en nous en éloignant, la souffrance de la naissance, et les difficultés d’adaptation à la réalité du monde environnant. Le retour hallucinatoire dans l’utérus maternel, représenté par l’orgasme, et le sentiment de satisfaction qui lui est en principe lié, vient alors rompre la répétition de toute la tragédie de la naissance.

II. D’un point de vue phylogénétique.

Dans notre corps et notre psychisme sont conservés des traces mémorielles des fragments d’histoire perdus, oubliés.
Le premier temps de la vie se passe en milieu aqueux. Ce milieu est l’exacte reproduction du milieu premier dans lequel ont baigné toutes les espèces, lieu de naissance de la première cellule. La naissance fait passer les mammifères de ce milieu aqueux, protégé par l’utérus maternel, au milieu aérien, symbolisant le changement de milieu auquel ont dû faire face les espèces, lors du grand assèchement des océans, catastrophe obligeant à une difficile adaptation et à de grandes mutations génétiques. Les enveloppes de protection embryonnaire portent en elle la répétition des différents changements de milieu au cours de l’évolution des espèces.
Ainsi chaque mammifère, y compris l’homme, revit dans sa chair, au plus profond de lui, l’évolution de l’espèce.
Selon la théorie darwinienne, l’évolution est le fruit du choix de la meilleure variété poussé par la nécessité de survie, et la force de l’adaptation.
La psychanalyse sait que la force de régression est tout aussi importante que la force d’évolution, et que d’autre part, les motifs pulsionnels et émotionnels sont aussi des facteurs entrant dans le processus de l’évolution.
Aux côtés des pulsions de vie, qui contribuent à augmenter la proportion de matière vivante, se meuvent les pulsions de mort, qui ont pour but de ramener la matière vivante à l’inorganique.

« De l’action conjuguée et opposée des deux procèdent les manifestations de la vie, auxquelles la mort met un terme. »

Freud : nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse – Gallimard – 2006- page 145

Ferenczi émet ainsi l’hypothèse d’un désir de « régression thalassale » survenu après le grand assèchement des océans, désir de retourner à l’océan primitif. Or, selon lui, cette attraction se reproduit dans la génitalité.
Le mode de reproduction externe se développe chez les espèces évoluant en milieu terrestre. Ainsi ; les organes reproducteurs des espèces terrestres se développent dans le but de satisfaire à ce désir de régression. Grâce à ces organes, les cellules reproductrices sont placées en milieu utérin aquatique, protégées de l’extérieur. L’utérus maternel (donc la mère) serait alors un substitut de l’océan primitif.
Le désir de régression vers les sensations de ce milieu aquatique perdu, est concomitant sur le plan de l’évolution avec l’ apparition de l’accouplement..

Le processus biologique de l’acte sexuel est « un compromis entre contrainte traumatique et tendance érotique ». La tendance à la fusion régressive s’accompagne de plaisir et de déplaisir.
L’acte sexuel « ne contribue pas seulement à compenser des traumatismes non liquidés mais célèbre en même temps l’heureuse délivrance du grand péril. »

En résumé

La génitalité nous fait revivre la grande catastrophe ontogénétique de la naissance mais aussi la grande catastrophe phylogénétique de l’assèchement des océans.

A chaque grande catastrophe, l’espèce évolue : de l’apparition de la vie organique, en passant par le début des êtres unicellulaires, la reproduction sexuée, le développement de la vie marine, l’adaptation à la vie terrestre, puis l’existence des espèces pourvues d’organes génitaux jusqu’à l’ère glaciaire. A chacune de ces étapes, correspondent des étapes de l’ontogenèse : maturation des cellules sexuelles, naissances des cellules germinales dans les gonades, fécondation, développement de l’embryon, naissance, développement psycho-sexuel en différents stades jusqu’au stade de latence.

L’importance de la relation biologique mère-enfant est ici privilégiée. Nos liens profonds avec la mer de nos origines ont été depuis mis en valeur, et reconnus dans les domaines des sciences de l’évolution, mais aussi sur les plans symbolique et imaginaire.


Geneviève Abrial