L’attachement : un instinct oublié

YVANE WIART, Albin Michel, 2011

L’ouvrage d’Yvane WIART souligne, à travers les expériences de John BOWLBY et de ses successeurs, l’importance d’une communication d’émotions entre le bébé et sa « figure d’attachement » et ses conséquences dans le développement de l’enfant, puis sur sa vie d’adulte.

Le ressenti d’un état de sécurité ou d’insécurité est déterminant dans le rapport à soi et aux autres. Les émotions de l’entourage et principalement de la mère sont décodées par l’enfant et façonnent sa stratégie, c’est-à-dire les comportements qu’il va adopter pour ne pas s’effondrer intérieurement, s’adapter à son environnement et obtenir la sécurité dont il a besoin.

En psychanalyse active, la réactivation des souvenirs a pour projet de faire revenir à la conscience les ressentis émotionnels associés aux événements vécus. Selon la « théorie de l’attachement », cette ambition est pertinente mais elle risque de se heurter à deux types d’obstacles :

  • Les évitants dont l’insécurité s’est constituée sur une perception du rejet et du désintérêt manifestés par l’autre à leur égard, et qui ont décidé d’être dans le déni de leurs émotions.Les anxieux dont l’insécurité s’est construite sur l’incertitude menaçante de l’autre.*
  • Les anxieux dont l’insécurité s’est construite sur l’incertitude menaçante de l’autre.*

La méthode active en psychanalyse permet au sujet de retrouver son émotion, pouvoir la nommer et l’associer à une situation, à une personne, et ainsi, sortir de son enfermement intérieur, de ses attitudes réflexes, et de ses répétitions. Nous poursuivons un but proche de celui de l’auteur quand elle précise que le changement : c’est « retrouver la réalité de son vécu antérieur. »

Notes sur l’ouvrage

John BOWLBY, pédopsychiatre et psychanalyste anglais, est le fondateur de la théorie de l’attachement. Pour lui, le bébé est programmé pour rechercher la présence et la proximité des personnes qui pourront lui assurer la sécurité. Les menaces qui pèsent sur l’enfant ne sont pas uniquement liées à la séparation. Les menaces résident dans la nature de l’interaction entre la figure d’attachement et l’enfant. Est-elle rejetante, imprévue, ou indifférente ?

L’enfant initie la relation d’attachement et non la mère. Pour entrer en relation, il dispose de moyens différents : l’alerte avec les cris, les pleurs, et la séduction avec le sourire, le regard, ou l’imitation.

« ainsi, si l’enfant au cours de son développement ne se sent pas protégé et soutenu dans ses découvertes et ses apprentissages, il en conclut qu’il n’est pas capable de susciter l’intérêt d’autrui, qu’il ne mérite pas d’être aimé, et que les autres ne sont pas fiables, que l’on ne peut pas compter sur eux pour partager autant ses difficultés que ses joies. Ces conclusions, tirées d’expériences répétées, tant dans l’enfance que dans l’adolescence, se fixent en schéma d’interprétation de la relation au monde et à autrui, qu’il devient très difficile de faire évoluer par la suite, et qui colorent la perception de ce que l’on est capable de faire et de ce que l’on est susceptible de recevoir d’autrui. »

« Bowlby soutient qu’une des fonctions de l’attachement est de permettre de se sentir en sécurité, de façon à pouvoir partir à la découverte de ce qui nous entoure. Cela est très important pour le bébé, mais demeure une constante dans le vie de l’adulte, sous forme de curiosité intellectuelle, curiosité relationnelle et absence de crainte face à la nouveauté ou à l’inconnu.»

Les recherches de BOWLBY s’inspirent de l’éthologie. Il retient les notions d’empreinte (l’oison suit tout objet en mouvement qu’il voit passer, puis s’attache à l’objet de son choix) et de phase critique, période au-delà de laquelle certains comportements ne se mettront plus en place.

Pour étayer sa réflexion, il met au point une méthode d’expérimentation basée sur une scène stressante, la « situation étrange » pendant laquelle le bébé vit une courte séparation d’avec sa mère. L’observation porte sur la manière dont il se comporte pendant son absence et au moment précis où elle revient. Dans une pièce qu’il ne connaît pas, remplie de jouets, il est en compagnie de sa mère et d’une assistante de recherche. L’assistante sort et les laisse seuls. Puis elle revient et la mère s’absente à son tour. Le bébé reste seul avec l’assistante qu’il ne connaît pas puis, sa mère est de retour.


Dans la suite de ses travaux, certains de ses élèves, comme Mary Main, améliorent la « situation étrange » et accompagnent l’observation réalisée d’entretiens avec les mères. Elle suit les enfants lorsqu’ils deviennent plus âgés.

La « situation étrange » a lieu lorsque l’enfant a 12 mois. Puis, elle réalise des entretiens individuels lorsqu’il atteint l’âge de 6 ans puis un autre à 19 ans.

Main répartit les enfants en 3 groupes, issus de leurs comportements pendant la « situation étrange. » Les groupes constitués à 12 mois ne vont pratiquement pas évoluer à 6 et 19 ans.

Expérimentation de Main

Enfants
sécures
Enfants
évitants
Enfants
désorganisés/désorientés
Comportements à 12 mois dans la « situation étrange »Jouent avec plaisir, explorent l’environnement avant la séparation, manifestent le manque de leur mère en pleurant
A son retour : recherchent activement sa proximité, désir d’être pris dans les bras, retournent à leur jeu tranquillement quand ils sont rassurés
Apparente indifférence à l’absence de la mère, puis au retour, continuent à explorer et à jouer comme avant la séparation, même lorsqu’ils sont seuls.Manifestent l’envie d’être reposés lorsqu’ils sont pris dans les bras. Se détournent. (suppriment l’attachement pour ne pas courir le risque d’un rejet par la mère)Comportements incohérents par moments. Sont pétrifiés par rapport à leur mère qu’ils abordent de biais, à son retour. Ne maintiennent pas leur attention. Paraissent absents, confus, incohérents.
A 6 ans,mise en scène de séparation.Peu affectés par une séparation d’1 heure d’avec les parents. A leur retour, ils les accueillent avec plaisir, calmement, et les associent aux activités en cours
Interrogés sur des histoires de séparation :
Attribuent à l’enfant des émotions de détresse, et fournissent des solutions pour faire évoluer la situation positivement
Évitent le moment des retrouvailles avec la mère, préfèrent se concentrer sur les jouets et l’expérimentatrice. Evitent la conversation par des silences, et des blocages de développement.
Histoires de séparation :
Emotions de détresse. N’imaginent pas de solutions. Répondent : « je ne sais pas », « l’enfant ne peut rien faire »
Lors des retrouvailles, prennent le contrôle sur les parents. Punitifs. Directifs, ou excessivement attentifs, font le clown pour attirer l’attentionSont terrifiés par les histoires de séparation. Conséquences envisagées catastrophiques : mort de l’enfant ou du parent.Les enfants classés désorganisés à 12 mois, pour 50%, deviennent des enfants évitants à 6 ans.
A 19 ansPrésentent des récits structurés et cohérents de leur enfance et de leur relation avec leurs parents. Reconnaissent les enjeux de l’attachement.Entretien détaché. Présentent leur enfance comme positive, mais n’ont pas de détails pour alimenter leur vision. Idéalisent leurs parents et enfance, mais avouent une difficulté à se souvenir. Nient l’impact de l’attachement
Récits désorganisés. Sont désorientés dans le temps. Vivent le passé comme s’il était encore présent.

L’hypothèse de MAIN : les parents encouragent les comportements d’attachement qui ne remettent pas en cause leurs propres comportements d’attachement à leurs parents. Les parents évitants découragent les tentatives de rapprochement et les parents anxieux découragent les explorations de leurs enfants.

Le style d’attachement correspond à la sensibilité de la mère à répondre de manière synchrone aux attentes du bébé. L’insécurité réside dans une réponse exagérée ou insuffisante de la mère.

Les comportements relationnels vont avoir tendance à se renforcer avec les expériences, comme si la stratégie adoptée par le bébé devenait la stratégie relationnelle de référence.

En grandissant, les enfants sécures apprennent à parler plus facilement que les autres des émotions qu’ils ressentent. Ils ne déstabilisent pas leurs parents. Ils savent vers qui se tourner au moindre choc émotionnel pour réguler leurs sensations. Ils apprennent à réfléchir sur eux-mêmes, à s’accepter et à se comprendre. Sur cette base, ils sont capables d’empathie envers les autres.

D’autres travaux améliorent et précisent certaines des observations antérieures.

Synthèse de Patricia Crittenden et le modèle de développement dynamique

Elle montre l’évolution des stratégies relationnelles dans le temps. A la catégorie désorientée, elle substitue le qualificatif d’anxieux. C’est dans la relation et le ressenti de l’enfant que sont identifiés ces différents états.

SécuresEvitantsAnxieux
Stratégie
relationnelle
dès l’enfance
Intégration des cognitions et des affects. Communication ouverte et réciproque des émotions et des attentes. Absence de mensonges et de non-dits. Les réactions sont adaptées en fonction des circonstances. Panel varié de réactions. Font preuve de souplesse. Certaines réponses sont plus cognitives ou affectives.Rigidité des comportements et des stratégies relationnelles. Apparaît en réponse à des réactions parentales faites de négligence, manque d’attention, réactions de colère ou d’irritation, ou façade faussement positive.Accent porté sur la cognition, la rationalisation, au détriment des affects. Cherche à plaire à autrui en maintenant les distances.Impossibilité d’établir des liens de cause à effets entre le comportement de l’enfant  et la réaction de l’adulte. Le lien paraît imprévisible. Les émotions ressenties sont fortes et négatives. L’irrégularité des réactions parentales entraîne des sentiments de frustration, colère et de peur. Le parent finit par répondre désemparé par la conduite à tenir devant un grand débordement affectif.Pour maintenir le lien : agressivité ou impuissance désarmante. Manipule les réactions des autres. L’autre est activement recherché. La communication repose sur la base émotionnelle. Les problèmes sont difficiles à gérer.
Le bébéRéactions stables de la figure d’attachement et bonne sensibilité aux signaux de l’enfant. Relation prévisible. Lien cause et effet. L’enfant est maintenu dans un état émotionnel gérable, sans excès ni manque. Le plaisir est partagé et le déplaisir est réparé.Inhibitions des manifestations affectives pour éviter les réactions négatives de la figure d’attachement.  Evitement des comportements non valorisés.Grande agitation, pleurs non calmés par la figure d’attachement

La période
préscolaire
Les émotions,  attentes et besoins de chacun s’expriment. La colère n’est pas interdite. L’enfant vit dans un univers cohérent de règles et de limites. L’exploration se fait avec une sécurité physique et affective. Le récit est encouragé par le parent. Il alimente l’empathie et sa compréhension de lui-même.Adopte des comportements appréciés. N’exprime pas ses émotions. Utilise les mots pour plaire mais pas pour parler de soi. Construit un faux self séduisant mais qui empêche la personnalité d’émerger.Soumission à la pensée d’autrui.Opposition, agressivité, l’enfant fait celui qui ne peut pas y arriver seul. L’adulte est obligé d’intervenir.
À l’école
Etend ce mode de communication à son environnement. Confiant et extraverti mais sans excès. Recherche l’intimité à l’adolescence. A appris à identifier les attentes d’autrui et se montre difficilement manipulable. Apprend de ses succès et erreurs. Tire des leçons de son expérience.
Doit être gentil et aimable sinon il s’attire les colères  et les menaces des parents. Agit en conformité aux attentes des adultes. Est attentif aux autres. Très vigilant aux réactions d’autrui, anticipe les désirs. Ou pense devoir égayer la figure d’attachement triste, repliée sur elle-même. Obéissance ou soins compulsifs.Usage conscient de cette stratégie visant à la manipulation de l’autre. Il feint les émotions ou exagère. Mensonges, fausses excuses, charme, séduction pour éviter les punitions réelles ou imaginées.
AdulteCommunication authentique avec soi-même et les autres.
2 types : les sécures naïfs et les parcours difficiles (de l’attachement sécure acquis)
A l’adolescence, proximité compulsive. Stratégie qui permet d’éviter une intimité affective authentique, par peur du rejet et de l’abandon d’un côté, des relations superficielles avec ses interlocuteurs, de l’autre, Intégration sociale mais avec retrait affectif, isolement, fuite des relations interpersonnelles.
Globalement : s’acquittent de leurs tâches d’adulte. Calmes, responsables, façade positive. Mais, effondrement brutal, spectaculaire, colères, prises de distance. Activités automatiques.
A l’adolescence : relation à autrui caractérisée par une exagération de tout ce qui est négatif, les critiques, les plaintes.Jalousie, exclusivité. Anticipation de la peur d’être abandonné. Séduction alterne avec violence. Manque de confiance en soi et en l’autre.L’action prime. Le groupe est recherché. Impulsivité. Rejette la faute de ce qui lui arrive sur les autres. Se sent impuissant. Indifférence aux conséquences des actes. Confiance excessive en son ressenti qui conduit à la paranoïa.Adulte : situations relationnelles chaotiques, agresseur-victime. Utilisation de substance induisant une dépendance.

Les recherches des STEELE

Le style d’attachement des parents est transmis aux enfants. Si le type d’attachement est différent entre le père et la mère. Une synthèse s’effectue et une hiérarchisation s’opère.

Les STEELE distinguent 3 modes d’éducation :

  1. L’autorité qui se préoccupe des besoins de l’enfant et sait négocier
  2. L’autorité de principe, indiscutable
  3. Le refus de l’autorité

Les parents sécures sont fermes et sûrs d’eux. Ils ne se laissent pas manipuler. Ils sont des guides  fiables et stables. Ainsi, ils assurent une sécurité physique et affective.

L’attachement chez l’adulte

Les sécuresLes évitantsLes anxieux
Acceptent de compter sur autrui et réciproquement. Pas préoccupés par l’abandon ou la proximité. Leur relation amoureuse est basée sur la confiance et la réciprocité. Acceptent le partenaire avec ses qualités et ses défauts. Apportent soutien à l’autre.Croient à l’amour avec des hauts et des bas. La durée des couples est 2 fois plus longue que pour les autres.La gestion des émotions : limitent l’impact des émotions négatives sur eux. Maintiennent une vision positive d’autrui en trouvant des excuses. Ils se protègent de l’envahissement du négatif.Sont en colère parce qu’ils n’acceptent pas une situation désagréable.
Image de soi :  confiance dans leurs capacités à s’en sortir seuls. Se décrivent en négatif et en positif.
Peur de l’intimité. Jalousie et vie émotionnelle très chaotique. Pas d’expérience positive de l’amour. Ne croient pas à l’amour qui dure.La gestion des émotions : les émotions négatives semblent n’avoir aucune influence sur eux. Ils sont dans une forme de désactivation émotionnelle. C’est une répression affective.Colère dissociée. Prennent de la distance par rapport à des émotions vécues mais minimisées socialement. Ne savent pas faire des concessions et réduire les tensions.Insécurité psychique depuis l’enfance.
Image de soi : essaient de maintenir une image positive à tout prix. Veulent s’en sortir seul.
Jalousie. Chaos affectif. Désir obsessionnel d’union et de réciprocité. Tombent souvent amoureux mais sans succès.Forte attirance sexuelle.La gestion des émotions : sont très attentifs aux stimuli négatifs. Ils attribuent les causes des émotions négatives à des éléments globaux et stables : « il est ou elle est. »Perçoivent le négatif et ont peur de l’abandon ou du rejet.
Colères intenses. Se laissent emporter par les affects.
Image de soi : pensent être incapables de faire face sans aide. Ont une image négative d’eux-mêmes.
Soulignent leurs imperfections pour attirer l’amour sur eux.

La perception de la relation amoureuse

Les sécuresLes évitantsLes anxieux
S’ils vivent un stress ou une difficulté, ont recours au conjoint.Lieu de partage, de confiance et de réciprocité.Demandent au conjoint d’être compétent pour soutenir la relation.Expriment des affects négatifs dans la relation.
Veulent résoudre les problèmes.
Besoin de l’autre
Ecoutent et se livrent à l’autre
Les sécures
Les évitants
Les anxieux
S’ils vivent un stress ou une difficulté, ont recours au conjoint.Lieu de partage, de confiance et de réciprocité.Demandent au conjoint d’être compétent pour soutenir la relation.Expriment des affects négatifs dans la relation.Veulent résoudre les problèmes.
Besoin de l’autre
Ecoutent et se livrent à l’autre

Sexualité : épanouissante. Pratique ludique, partage. Pas de performance mais un bon moment.
Respect de soi et d’autrui.
Rejet de la dépendance affective. Maintiennent une distance physique ou psychologique avec l’autre.Se protègent par une désactivation des émotions négatives donc ignorent qu’ils sont heureux ou non.Minimisent l’importance de l’attachement, du soutien et du réconfort.
Revendiquent un besoin d’autonomie et s’investissent à l’extérieur, dans le travail.
Le besoin de l’autre est vécu comme une faiblesse.

Sexualité : relations brèves, purement physiques, sans engagements.  Utilisent le sexe pour augmenter l’estime d’eux-mêmes. N’apprécient pas les caresses. Pas satisfaits de leur vie sexuelle. Sont déçus.
Attentes affectives démesurées.Relation frustrante et génératrices d’inquiétudes.Peur d’être abandonnés.Soupçonneux. Doutent de l’autre. Jaloux, contrôlants, dominateurs.
Hyper vigilance. Anxiété par rapport à la relation.
Contrôle son couple. Ou sont dans la soumission.

Sexualité : juge la qualité de la relation à la qualité de la satisfaction sexuelle. Ils sont inquiets sur leur capacité à séduire.
Se soumettent au désir du partenaire.
Focalisation de la sexualité comme enjeu relationnel.

Les séparations parentales ou les divorces n’ont pas eu de conséquences spécifiques dans la mise en place de leur stratégie relationnelle. Ce qui a été déterminant, c’est la qualité de la relation avec les parents et notamment, la mère.

Pour les sécures, les relations sont chaleureuses, les parents s’entendent bien. La mère est attentive, respectueuse, et responsable. Le père est affectueux avec le sens de l’humour.

Pour les évitants, les mères sont froides et rejetantes.

Pour les anxieux, les pères sont perçus comme injustes.

Le voyage au cœur du cerveau.

A la naissance de l’enfant, les neurones sont plus nombreux que ceux des adultes. Mais les connexions ne sont pas toutes établies. Il faut de l’expérience pour que le « câblage » se mette en place. Les expériences successives vont avoir une influence sur la connexion neuronale pour une meilleure circulation de l’influx nerveux. Les combinaisons potentielles proches sont inhibées.

Les neurones « se connectent au départ au sein d’une quasi infinité de possibles, par l’importance que revêt pour l’organisme tel type de stimulation plutôt que tel autre, la valeur émotionnelle à ce niveau est essentiellement une valeur de survie selon le principe simple de recherche évitement : recherche de ce qui est bon pour l’organisme, évitement de ce qui lui est néfaste. »

Pour le bébé qui n’a pas d’autonomie  personnelle, les réactions d’autrui lui permettent d’identifier ce qui est à faire ou à ne pas faire pour augmenter le plaisir ou diminuer le déplaisir. Heureusement, les réactions ne sont pas toujours strictement identiques et permettent l’acquisition de la flexibilité.

Le bébé a la possibilité de passer des messages d’alerte à son entourage et est capable de décoder son environnement pour savoir s’il représente un danger. C’est l’amygdale qui donne l’alerte sur la base de la survie de l’espèce. Le bébé est très attentif aux réactions de la figure d’attachement. Il est sensible à tous les détails (un regard énervé, absent…) L’amygdale va coder ces informations (positivement ou négativement) et les associer à certains comportements du bébé. Une boucle se crée. Par exemple, les pleurs n’entrainent pas une réponse positive. Il faut donc les éviter.

Les boucles peuvent se modifier sous l’effet d’un nouvel élément dont la charge informative est importante, ou d’une accumulation qui finit par faire basculer le système vers une nouvelle configuration. Les systèmes oscillent en permanence entre répétition et assimilation. Les neurones qui ne sont pas connectés finissent par disparaître, c’est l’apoptose. Le système se « consacre à l’amélioration de ce qui lui est vraiment utile. »

L’hippocampe joue un rôle important dans la mémorisation. Sans elle, pas d’apprentissage. Pas d’expériences tirées du passé, et aucune anticipation sur le futur.

Plusieurs types de mémoires ont été mis en évidence. D’un côté, la mémoire implicite, qui nous fait agir sur la base de souvenirs non conscients. Cette mémoire est enregistrée par l’amygdale qui code telle association de neurones activés à un stimulus. Le codage libère des neurotransmetteurs, la dopamine pour ce qui est bon, et la noradrénaline pour ce qui est source de stress.

Pour le bébé, la réaction de la figure d’attachement sera liée à la dopamine si l’interaction correspond à ses attentes et à sa sécurité. Dans le cas contraire, le codage sera inverse. L’enfant cumule alors deux stress : la faim, par exemple, et le contact relationnel. Le système va coder qu’il ne faut pas pleurer, car la réponse de l’autre n’est pas positive. Si la protection externe n’est pas assurée, l’organisme va se défendre seul. L’alarme va être réglée de manière différente. Le seuil de tolérance est augmenté. L’enfant devient sage et fait le bonheur de ses parents.

Pour coder la valeur de ce qui se passe dans l’environnement, un autre phénomène intervient dans l’apprentissage : l’imitation. La recherche a montré l’existence des neurones-miroirs. Le cerveau réagit à l’expérience observée d’autrui, comme s’il faisait l’expérience lui-même. Ce sont les neurones de l’empathie. Ils codent l’action mais aussi l’intention avec laquelle elle est réalisée. L’imitation est le moyen d’apprentissage du bébé. Les recherches révèlent qu’il suffit de contracter certains muscles pour provoquer le ressenti de l’émotion chez la personne.

Les bébés reproduisent les expressions des personnes qui les entourent et qui leur sont importantes. Par exemple, les bébés des mères dépressives sont plus que d’autres tristes, inexpressifs, voire apathiques. Ils incorporent le ressenti et se l’approprie.

La deuxième mémoire est dite explicite. Elle n’est possible qu’avec la maturation de l’hippocampe, une zone du système limbique. « le câblage efficace de cette zone en relation avec les autres n’intervient pas avant l’age de 3 ans. C’est ce qui explique l’amnésie infantile. An a besoin de l’hippocampe pour coder des souvenirs perçus consciemment et pourvoir les récupérer ensuite, en ayant cette fois l’impression réelle de se remémorer les événements. »

L’arrivée du langage constitue une étape majeure de développement pour le petit humain. Il va pouvoir accéder à des apprentissages plus complexes et  abstraits.

Sur le plan affectif, il va être en mesure de nommer ses émotions, de les partager et d’en percevoir les causes. S’il peut en parler librement, il comprend que les émotions ont de la valeur pour la figure d’attachement. Le langage permet aussi au cerveau de « ranger » et de « classifier. » Les informations peuvent être détachées de l’expérience réelle et encodées de manière abstraite. Le langage permet de connaître la réalisation d’une action sans pour autant la partager. Elle favorise donc la distance.

Dès l’acquisition du langage, les souvenirs sont remaniés pour être racontés. Ils peuvent s’éloigner du contenu réel. Le comportement s’attache à l’idée que l’on se fait d’un événement plutôt qu’à sa réalité. On vit alors dans l’illusion.

Par exemple, la peur ressentie peut être dévalorisée par l’entourage. « Il faut être fort » devient un message auquel il convient de se conformer. Aussi, sur un plan conscient, l’enfant montre courageux et brave les dangers. Mais son organisme se protège et continue à avoir peur. Cette peur ne parviendra plus au conscient. Elle pourra même être codée positivement car l’entourage éprouve de la satisfaction quand l’enfant se montre fort.

Le codage positif ou négatif d’une émotion dépend du discours d’autrui et du contexte dans lequel elle est éprouvée.

L’éducation va donner une place et une valeur aux émotions. Certains adultes ne savent pas ce qu’ils ressentent, ou pensent ne rien ressentir. Ils ne sont pas capables d’identifier leurs émotions. Ils vont donc transmettre une certaine confusion à leurs enfants. « Et ce qui ne peut être mis en mots a bien des difficultés à exister à la conscience. »

Le contenu de la mémoire explicite pour être déconnecté de la mémoire implicite.

L’éducation joue aussi un rôle sur la communication. Certains parents encouragent l’expression précise, les faits, l’objectivité. Ils inhibent le vocabulaire émotionnel. D’autres sont moins centrés sur les faits mais  plutôt sur le ressenti de l’expérience, le partage. D’autres encore se désintéressent ou sont occupés par ailleurs pour communiquer. L’enfant se sent inintéressant et rejeté.

Dans la mémoire explicite, on trouve distingue la mémoire procédurale (appris impersonnel) et la mémoire autobiographique (vécu.) Dans la mémoire autobiographique, on trouve une distinction entre mémoire noétiFabrice ROSINAque et mémoire autonoétique.

La mémoire noétique nous permet de retrouver un événement, une date. La mémoire autonoétique nous permet de retrouver l’effet que l’événement a produit sur nous, les ressentis et les sensations.

Elles produisent des discours différents. Observateur dans la première, comme si elle revivait l’événement dans la seconde.

Ces expressions témoignent d’une probable « dissociation » entre une « personnalité émotionnelle » et une « personnalité d’apparence normale » selon les travaux de Siegel. Il ne s’agit pas d’une simple adaptation en fonction des situations mais de deux personnalités distinctes. Les « évitants » vivent avec comportements distincts : soumis, apeuré, et invulnérable. Il s’agit de s’adapter à l’environnement mais surtout d’assurer sa survie physique et psychique.

« lorsque les différentes parties du cerveau ne fonctionnent pas de manière associée, le malaise interne devient maladie, et les difficultés externes, problèmes relationnels. »

Pour changer, il faut « recâbler son cerveau autrement (…) retrouver la réalité de son vécu antérieur. »


Fabrice ROSINA